Trois jours à survoler le monde

Fribourg • Les deux aérostiers Laurent Sciboz et Nicolas Tièche vont s’envoler le 28 août au soir pour disputer la Gordon Bennett, Coupe du monde aéronautique de ballons à gaz.

NICOLE RÜTTIMANN

«Cela représente trois jours de vol non-stop. Aucun avion ne peut faire ça!» Vendredi 28 août à 23 h, Laurent Sciboz et Nicolas Tièche prendront le départ de la Gordon Bennett Cup 2015, la Coupe du monde aéronautique de ballons à gaz. Les deux aérostiers fribourgeois figurent parmi les trois équipages helvétiques qui prendront le départ – sur 17 équipages de toutes nations. A bord du ballon Fribourg Freiburg Challenge, ils décolleront à Pau dans les Pyrénées pour rallier une destination encore inconnue, qui dépendra notamment des conditions météorologiques. L’enjeu? Aller le plus loin possible. Le record depuis le lancement de la coupe en 1906 étant de 3400 km…

Cette compétition reste cependant peu connue du grand public. «C’est un peu comme Alinghi, toutes proportions gardées. Avant, peu de gens s’intéressaient à la voile. Il suffit que quelques personnes fassent un résultat pour que cela prenne. Et la Suisse est une grande nation d’aérostiers, il y a un très bon niveau», note Laurent. Et de relever que le champion d’Europe de l’aérostation est un Suisse et a participé à la Gordon Bennett.

«L’objectif de notre participation est de faire parler de cette discipline et de susciter un engouement dans le canton», explique Nicolas. Car si le ballon à air chaud dit montgolfière, est relativement connu, son cousin le ballon à gaz l’est beaucoup moins et est bien plus complexe à manœuvrer (voir encadré). «On dénombre moins de 200 pilotes de ballon à gaz dans le monde», souligne-t-il.

Passion aérienne

Le duo a créé à Domdidier la première base de décollage pour ballon à gaz, d’où, fin avril, «Fribourg Freiburg Challenge» s’est élevé pour la première fois. «C’est véritablement novateur. Il y en a très peu en Europe. Et le canton de Fribourg est idéal pour réaliser un beau vol!» Et de rappeler que le ballon est le plus vieux moyen de transport aérien du monde – le premier vol a eu lieu en 1783.

Laurent, informaticien, de Sommentier, et Nicolas, chimiste, de Gumefens, se sont rencontrés lors des cours d’aéronautique: le second a été l’instructeur du premier. Nicolas participe cette année à sa quatrième Gordon Benett, la deuxième pour Laurent. Agés de 48 ans, ils sont tous deux mariés et ont deux enfants.

Nicolas a croché dès 11 ans, quand, en 1978, un aérostier s’est posé près de la maison de ses parents, à Château-d’Œx. Son père et sa sœur sont aussi pilotes. Laurent a commencé par le parapente à 19 ans et durant 25 ans, avant de s’orienter vers le ballon. Tous deux ont suivi environ un an de formation pour ballon à air chaud, avant d’effectuer une spécialisation pour ballon à gaz, qui comporte notamment un examen «radio» très poussé, visant à gérer la traversée d’une zone aérienne. Un point essentiel pour la Coupe.

Equipe de choc au sol

Une fois en l’air, en effet, les pilotes sont «aveugles», mais peuvent compter sur une «équipe de pointe» au sol, pour les guider et établir un plan de vol en trois dimensions. A sa tête, le Neuchâtelois Jacques-Antoine Besnard, multiple champion du monde de vol en dirigeable. Parmi les météorologues, Robert Bolognesi ou Wim de Troyer, de l’Institut royal météorologique de Belgique et membre de l’équipe Solar Impulse. Et Roland Wicky, ancien de Breitling Orbiter. Le team compte aussi deux contrôleurs aériens, un atout essentiel puisque la compétition implique le survol de plusieurs pays à la vitesse du vent.

«L’étendue de vol est immense. Il faut anticiper les problèmes. Car lorsqu’on décolle, on ne sait pas quelles seront les conditions de l’autre côté de l’Europe!» souligne Nicolas.

Nicolas et Laurent comptent sur cette équipe de pros pour faire la différence. Et sur un matériel léger et performant: «L’équipement est conçu pour être hyperléger, de façon à pouvoir emporter plus de sable qui est notre carburant», expliquent-ils. Tout doit être mesuré afin de piloter le plus économiquement possible – le sable est même «enlevé à la cuillère à soupe.»

Quant à la nacelle, elle fait la grandeur… d’une table. Pas facile d’y évoluer, mais le team est rôdé et se relaie pour dormir sur le lit-tablette. «Il est essentiel de récupérer pour être toujours au top de ses capacités. J’ai suivi des méthodes d’autohypnose afin de dormir rapidement. Le trajet a beau durer près de 80 h, il faut être capable lorsque les difficultés se présentent de prendre la bonne décision en quelques minutes!» soutient Laurent.

Jusque-là, cinq équipages suisses alémaniques ont gagné la Gordon Bennett. Mais celle-ci n’a jamais été remportée par des Romands. Auguste Picard est le dernier à avoir participé en 1927.

«Si on gagne, c’est aussi notre fédération qui gagne. Elle pourrait organiser la Coupe à domicile. Cela donnerait plus de visibilité à la discipline», relève Laurent. Mais le duo de conclure que, «plus que la Coupe en soi, l’intérêt est de faire un beau vol. Voyager en silence à quelques centaines de mètres du sol, avec des paysages à couper le souffle, c’est cela le privilège du passionné. On ne s’en lasse pas!»

La Gordon Bennett en quelques points

>  La FAI World Long Distance Gas Balloon Championship ou Gordon Bennett Cup, tire son nom de James Gordon Bennett Jr., magnat de la presse et mécène des sports automobile et aérien qui l’a créée en 1906.

>  Durée record dans la compétition: 92 heures.

>  Distance moyenne des 10 dernières éditions: 1900 km.

> Distance record: 3400 km.

> Vitesse: jusqu’à 120 km/h.

> Volume du ballon: 1000 m3

> Prix: environ 80 000 francs.

>  Maniement: on remplit l’enveloppe avec un gaz plus léger que l’air (hydrogène ou hélium). On lâche du lest (sable ou eau) pour monter et on lâche du gaz (par une soupape au sommet du ballon) pour descendre.

>  Lest: environ 650 kg de sable pour le ballon des Fribourgeois.

>  Différence: autonomie moyenne 10 fois supérieure à un ballon à air chaud. Les vols sont plus longs en durée et en distance.

>  Soutien: L’équipage fribourgeois est soutenu par 4 Piliers (4P) de l’économie fribourgeoise – BCF, ECAB, Groupe E et TPF. Leur but est de promouvoir l’image du canton de Fribourg dans et hors du canton. Dans ce cadre, 4P collabore aussi avec l’association Fribourgissima Image Fribourg qui promeut ce challenge à l’extérieur. Autre but, promouvoir l’innovation au niveau de la technique et de la communication: 4P collabore avec l’Eikon – école professionnelle d’arts appliqués – et a mis sur pied une équipe de professionnels. La campagne est prévue sur trois éditions.

>  Budget de 260 000 francs pour trois ans, y compris l’achat d’un aérostat Fribourg et la création d’une aéroplace à Domdidier (soit environ 21 500 fr. par entreprise par an).

> Site internet: http://gordonbennett.aero/

NR

 

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